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Raymond Lemoine nous offre un regard à la fois naïf et franc d’enfant, et celui sensible et
teinté de mélancolie d’un homme d’âge mûr sur son enfance à Sainte-Agathe, au Manitoba.

Les Juifs

– Nouvelle famille  

D’après les manchettes du jour qui provenaient du magasin général Bourbonnière, une famille juive de Winnipeg viendrait s’établir à Sainte-Agathe. Supposément, un monsieur Basset prendra la charge de la gare du village et il sera censément accompagné de son épouse et de ses quatre enfants. Avec raison, la nouvelle de la venue des Basset parmi nous provoquait beaucoup de bisbilles dans tout le village, mais surtout dans la cour d’école. L’introduction de nouvelles familles dans notre petit patelin se produisait rarement, mais dans ce cas-là, le fait que celle-ci soit juive alimentait davantage notre curiosité. Nous ne connaissions pas grand-chose au sujet de ce peuple, sauf qu’il avait crucifié Jésus.

 

Plus que d’habitude, des discussions intéressantes animèrent beaucoup nos conversations dans la cour d’école durant les récréations… du moins parmi les gars. 

Chaque jour, un de nous arrivait avec une autre information au sujet des Juifs et notre banque de données sur le judaïsme augmentait à chaque récréation. Tout y passait — du fait que ce peuple ne mangeait pas de porc jusqu’au fait que les garçons juifs subissaient une circoncision à l’âge de treize ans devant une foule à l’église. Le plus d’information qu’on apprenait sur ce peuple juif, le plus curieux qu’on devenait. Époustouflé par la sauvagerie de l’interdiction de manger du porc, mon frère Jacques jugea l’abnégation de consommer du porc tout à fait abominable, d’autant plus que ce renoncement barbare était dicté par Dieu, leur dieu ! Quel Bon Dieu priverait ses fidèles de manger du bacon avec leurs œufs au déjeuner le matin ? En ce qui concerne la circoncision à l’âge de treize ans devant la congrégation à l’église, cette donnée venait de l’encyclopédie incarnée de l’école, Rhéal Lamontagne. Par conséquent, c’était un fait sûr et légitime. À vrai dire, nous étions absolument assurés que toutes questions posées à Rhéal Lamontagne nous reviendraient avec des réponses correctes et crédibles. Infaillible comme le Pape, ce jeune homme était un des plus sympathiques gars du village, à moins que tu sois un de ces pauvres ignorants qui oserait manifester le moindre doute sur la vérité de ses déclarations. Rhéal nous épatait toujours par l’ampleur impressionnante de son vaste champ de connaissances et il se retrouvait bien placé au rang des garçons les plus respectés du village, du moins d’après nous, les gars du village. Rhéal éprouvait certaines difficultés dans toutes les matières scolaires, mais, pour nous, ce manque de succès pour lui à l’école s’expliquait tout simplement du fait que son grand génie dépassait les normes insignifiantes de l’école. De plus, Rhéal était le seul du village qui était abonné au magazine Popular Méchanics, ce qui pourrait effectivement expliquer la vastitude de son savoir.

 

Le jour de l’arrivée des enfants Basset à l’école, l’excitation battait son plein et se faisait ressentir dès le lever du soleil. À la table du déjeuner, la conversation roulait autour du fait que la famille Basset, comme la nôtre d’ailleurs, se dotait de quatre enfants, trois garçons et une petite sœur. Les points de discussions survenus le jour avant dans la cour d’école animèrent vivement le grabuge habituellement embrouillé à notre table lors du déjeuner et aiguisèrent davantage notre curiosité de rencontrer ces nouveaux arrivants. Même la divulgation de Rhéal Lamontagne est venue sur le tapis. Bien entendu, celle-ci suscita l’habituel commentaire de ma mère, « Ben voyons donc, y faut pas tout croire ce que Rhéal Lamontagne dit ! »

(suite au prochain numéro)

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