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Laurette Lacroix a fait ses études après l'application de la Loi sur les écoles du Manitoba qui abolissait le français comme langue officielle, et après que l’enseignement public en toute autre langue que l’anglais y soit interdit. Malgré tous ces efforts d’assimilation des francophones, Laurette réussit non seulement à conserver son français, mais à coucher sur papier des anecdotes sur sa vie à la ferme lorsqu’elle était jeune fille et jeune mère. C’est à titre posthume que nous publions ses écrits.

Prendre un p'tit coup

C’était un froid qui faisait tout craquer! Il fallait garder la fournaise à chauffer toute la nuit, brûlant juste du bois. Mon père était obligé de se lever quelques fois durant la nuit pour mettre d’autre bois, en alternant le bois sec avec du bois vert dans la fournaise pour que ça dure plus longtemps.

 

Les veillées passaient vite. On avait souvent de la visite, surtout de vieux garçons demeurant à environ 1,6 km de chez‑nous. On en comptait sept. Donc, notre table de cuisine en a vu des parties de cartes.

 

Notre curé piquait un peu les vieux garçons, car il avait besoin de plusieurs grosses familles catholiques dans sa paroisse. Eux se trouvaient très bien dans la maison paternelle que leurs parents leur avaient laissée. Tout était partagé et ainsi, ils avaient moins de responsabilités. Souvent, ils avaient une sœur célibataire pour prendre soin d’eux.

 

Alors, on commença la partie de cartes, le fameux « whist ». Les hommes, bien en place, fumaient et se balançaient sur le bout de leur chaise qui touchait au mur.

 

Mon père décida d’offrir un p’tit coup de « home brew » à ses amis. Sur la commode étaient rangées des bouteilles de fort – une bouteille diluée avec de l’eau et l’autre à l’état pur.

Mais mon père, pressé de retourner à ses cartes, se trompa de bouteille.

Comme toujours, il offrit un verre au premier. Il le prit, porta un toast à la santé de tous, pencha la tête par en arrière et avala, comme d’habitude, d’un seul coup. Aussi vite la boisson remonta et revola dans la face de son partenaire. Ce dernier, qui était en train de placer ses cartes ne savait pas ce qu’il lui arrivait. Pauvre yâble, très timide, il fut étranglé pour le reste de la veillée. Mon père, lui, fut plein d’excuses durant la soirée, et longtemps après.

Notre mère, elle, n’avait pas perdu de temps. Elle nous dit :« Allez dans vos chambres! », car elle savait qu’on ne pourrait pas s’empêcher de rire. Pour nous, voir un homme en boisson cela nous dérangeait peu. Notre père achetait la boisson juste dans le temps des fêtes pour prendre un verre avec ses amis.

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La boisson du gouvernement était très chère. Pour cette raison, notre mère faisait son vin de « pisse-en-lit » durant l’été et elle en avait assez pour toute l’année. Elle y ajoutait des fruits, des raisins et de la levure, tout mis dans un croque avec un linge dessus. Tout était brassé

tous les jours. Nous, les enfants, on prenait deux ou trois raisins gonflés quand on en avait la chance. À la fin du mois, quand c’était le temps de couler le vin, elle trouvait peu de raisins.

Le matin du jour de l’An, elle nous offrait chacun un petit verre. Par contre, le vin n’était jamais autant apprécié que lorsqu’on prenait un raisin gonflé.
 

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