Laurette Lacroix a fait ses études après l'application de la Loi sur les écoles du Manitoba qui abolissait le français comme langue officielle, et après que l’enseignement public en toute autre langue que l’anglais y soit interdit. Malgré tous ces efforts d’assimilation des francophones, Laurette réussit non seulement à conserver son français, mais à coucher sur papier des anecdotes sur sa vie à la ferme lorsqu’elle était jeune fille et jeune mère. C’est à titre posthume que nous publions ses écrits.
Souvenirs d'enfant
La pleine lune nous attendait par un beau soir d’hiver. Sept heures! Fini l’ouvrage de la ferme pour aujourd’hui. Mon frère, encore plein d’énergie, voulait pratiquer son hockey, surtout son tir au but. Étant le plus vieux des garçons, il avait reçu comme cadeau de Noël une nouvelle paire de patins, un bâton et des rondelles. Moi, une fille et un peu plus jeune, j’étais forcément la gardienne de but. Il avait donc des patins, mais moi, je n’étais pas à mon avantage avec mes galoches d’école et, comme bâton, un balai dont les pailles avaient été coupées court. Pour faire office de but, mon frère avait choisi une grosse boîte. Plus grosse elle était, mieux c’était pour lui.
La glace n’était pas toujours bien lisse. Mais on jouait dans la plus belle des arènes, le canal Dawson sous une couronne d’étoiles, éclairés par une vraie lune d’hiver et moi, même avec un équipement qui ne payait pas de mine, je gardais assez bien le fort.
Au bout d’une heure, la mère appelait « C’est le temps de vos devoirs d’école les enfants! » Bon! On y allait pour un dernier effort, mon frère jetant sa tuque sur la glace, son front rouge au vent, fâché d’avoir manqué tant de buts.
À pleine vitesse, bâtons bien alignés, pour nous deux c’était le moment décisif. Lui, à cause de lames de patins mal aiguisées, manqua son virage et moi, bien plantée, je l’attendais. Nous nous sommes retrouvés tous deux par terre après l’inéluctable collision. Une véritable explosion! Tous avaient sauté : le lanceur, la gardienne et même notre chien Bijou, qui, ayant peur du balai, courut à la maison en glapissant. Nous deux, étendus sur la glace, voyions les étoiles et la lune filer en rond. Voilà une partie mal finie. On se trouvait chanceux de s’en être sortis à bon marché, jusqu’à l’instant où j’aperçus mes galoches tout endommagées, tailladées par les lames de patins. Les lames n’étaient peut-être pas assez affilées pour réussir le virage, mais assez pour faire du dommage à mes galoches. Nous sommes retournés tous deux, pas trop braves, à la maison. Cela voulait dire que la mère serait obligée de faire une commande chez Eaton, et ça prenait au moins une semaine pour recevoir les commandes par le camion à lait. Cela voulait dire également que je serais obligée de porter les galoches de maman pour aller à l’école. Pas plaisant pour moi ni pour ma mère.
Plus tard, je fus gardienne de but, mais avec les conditions suivantes : une boîte plus petite et je porterais les bottes de papa. Dès lors, c’était moins facile de faire des buts. Pour mon frère, c’était maintenant plus un jeu de patience... Fini les avantages!
